Nous avons oublié combien coûte vraiment un vêtement, la valeur du travail d’un artiste… La surconsommation à son état pur.
L’autre jour, je suis tombée sur une vidéo Instagram. Une trad wife bien apprêtée, robe à fleurs et musique vintage, réalisait une tarte maison. « Fait de A à Z », disaient les commentaires en chœur, émerveillés. Sauf que non. Elle avait ouvert un paquet de farine. Et là, j’ai bloqué.
Parce que cette scène anodine, mignonne en apparence, dit tout d’un truc qui cloche profondément dans notre société : on a oublié ce que signifie faire. On a oublié comment sont faites les choses. Et surtout, on a oublié ce que ça coûte. Pas en euros, du moins pas seulement. Mais, aussi, en temps, en savoir-faire, en sueur, en humain.
Dans cet article :
La farine ne pousse pas sur les étagères
Prenons cette fameuse farine. On l’achète en sachet kraft, souvent pour moins d’un euro le kilo. Pourtant, avant d’atterrir sur l’étagère de ton supermarché, il a fallu semer du blé, l’arroser, attendre, surveiller, espérer qu’il n’y ait ni gel, ni grêle, ni sécheresse.
Puis moissonner, battre, trier, sécher, stocker. Ensuite, direction le moulin : on écrase les grains, on les tamise, on les ensache. Puis transport, logistique, distribution. Bref : c’est tout sauf « simple ».
➡️ Et ça, ce n’est que la farine. N’importe quel produit de ton quotidien est le résultat d’une chaîne humaine et technique complexe. Le problème, c’est qu’on ne la voit plus.
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L’illusion de la simplicité, une réalité d’aujourd’hui
Aujourd’hui, on vit dans un monde où les choses apparaissent. On clique, on paie, on reçoit. En 24h si possible. Ce confort, on le doit à une logistique industrielle ultra-performante. Mais il a un effet secondaire toxique : il efface la réalité du travail. On croit que les objets, les services, les aliments surgissent spontanément, comme par magie.
Conséquence : on n’a plus aucun sens de la valeur réelle. On pense qu’un t-shirt à 5 euros est normal. Qu’un article rédigé en 10 secondes par une IA, c’est « pratique ». Qu’un meuble IKEA est bien plus rentable qu’un artisan local. Pareil pour les artistes, on peine à acheter leurs créations, mais on demande à une intelligence artificielle.
Résultat ? Tout ce qui est fait avec les mains, avec la tête, avec du temps réel, devient « trop cher ». On râle devant un pain à 1,50 euro mais on donne 6 euros dans un bubble tea sans sourciller.
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L’aveuglement économique : quand on perd la conscience de la valeur
Cette déconnexion a un prix, justement. D’après une étude de l’ADEME, 85 % des Français achètent encore majoritairement des produits industriels transformés, souvent très éloignés des circuits courts ou du fait maison.
Pourquoi ? Le prix, évidemment. Mais ce « prix » est une illusion. Les aliments ultra-transformés sont moins chers parce qu’ils sont produits en masse, avec des matières premières de moindre qualité, dans des conditions sociales parfois douteuses. Et ils bénéficient d’une publicité massive, ce qui renforce leur légitimité.
Mais qui paie, vraiment ? Les petits producteurs, les maraîchers, les artisans. Ceux qui bossent dix heures par jour pour proposer un produit juste, bon, respectueux. On les accuse d’être « élitistes » ou de « profiter des bobos » alors qu’ils vendent à perte ou presque. On a inversé la charge : ce n’est pas le prix du local qui est excessif, c’est celui du mass market qui est indécent.
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L’IA, le nouveau miroir de ce problème sociétal
Même combat dans les métiers créatifs. Depuis que l’IA a débarqué dans le game, la tendance est claire : pourquoi payer un graphiste 400 euros quand une appli peut te générer un logo pour 5 euros ?
Pourquoi engager un rédacteur si Chat GPT te pond un article SEO en trois clics ? Sauf que voilà : ce que tu obtiens à bas coût est souvent creux, générique, sans âme.
Et tu oublies que le travail d’un humain, c’est aussi l’écoute, l’intuition, l’adaptation, la sensibilité. Bref, des choses qu’aucun algorithme ne code encore.
Mais l’impact est là. Des centaines de freelances voient leur activité s’effondrer. Et dans l’indifférence générale, on automatise à tour de bras des savoir-faire humains. Non pas pour le progrès, mais pour économiser. Encore. Et, surtout, parce que nous n’avons plus conscience de la valeur de ces services, des services que nous voulons à moindre coût pour élargir sa propre rentabilité.
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Produire, consommer, oublier
Cette désincarnation de la production mène à une autre dérive : la surconsommation. Si tu ne sais pas comment un objet est fait, combien de temps il prend, tu le remplaces sans réfléchir.
Un t-shirt abîmé ? On jette. Une assiette ébréchée ? On rachète. Une table bancale ? On commande. Et l’économie circulaire reste un concept sympa dans une vidéo YouTube, pas une réalité quotidienne.
Ainsi, on génère 573 kg de déchets par personne et par an en France, dont une grande partie liée à des objets jetés trop vite, trop souvent. Pourquoi réparer quand on peut racheter moins cher que le prix de la pièce détachée ? C’est absurde, mais c’est devenu la norme.
➡️ Et donc c’est pareil avec tous les services (nourritures, IA), on achète en masse, on privilégie la quantité plutôt que la qualité, le prix bas et illusoire face à un prix juste.
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Connaître le vrai prix des choses comme consommer mieux
Revenons aux bases. Un vêtement, c’est du tissu (donc du coton à cultiver, récolter, tisser), une coupe, une confection, un transport. Un article, c’est des heures de recherche, de rédaction, de révision. Un meuble, c’est du bois, du travail manuel, des finitions. Tout ça a un prix. Pas seulement économique. Un prix en dignité, en respect, en mémoire.
Mais pour cela, il faut changer de lunettes. Repenser nos critères. Accepter que ce qui est bien fait prenne du temps. Et que ce temps, ça se paie. Pas à coups de misères symboliques, mais à sa juste valeur.
Alors quoi ? On retourne tous vivre en autarcie, à moudre notre blé et coudre nos chaussettes ? Non. Mais on pourrait, au moins, réapprendre à comprendre. À connaître la chaîne. À poser des questions : qui l’a fait ? Comment ? Avec quoi ? Pourquoi ça coûte ce prix-là ?
Et pourquoi pas aller plus loin : prendre un peu de ce qu’on consomme, et le faire soi-même. Pas pour devenir auto-suffisants. Mais pour se reconnecter. Faire son pain une fois, au moins en achetant directement le grain. Coudre un bouton. Planter une tomate.
Ce sont des actes simples, mais puissants. Ils nous rappellent que rien ne « va de soi ». Et que chaque chose, chaque objet, chaque plat a une histoire.
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