Les jumelles Poto et Cabengo sont incroyables, elles ont réussi à inventer leur propre langue qu’elles seules peuvent comprendre.

L’histoire des jumelles qui inventent leur propre langage structuré
Nées en 1970 à San Diego, Grace et Virginia Kennedy sont des jumelles américaines d’origine germano-américaine. Leurs surnoms, Poto et Cabengo, ne viennent pas d’un caprice parental, mais d’une langue qu’elles ont elles-mêmes inventée.
Dès leur plus jeune âge, elles commencent à s’exprimer dans un langage que personne ne comprend, pas même leurs parents. Un dialecte privé, fusion d’anglais, d’allemand et d’éléments inventés.
Ce n’est ni du charabia, ni un jeu d’enfant passager. C’est même une langue structurée. Elle est utilisée exclusivement entre elles, au point d’exclure totalement la communication avec le reste du monde.
Le résultat d’un mode de vie reclus
Les jumelles grandissent dans une maison modeste, avec peu d’interactions extérieures. Le père, un vétéran de guerre au chômage, impose un mode de vie reclus. La mère ne parle pas bien anglais, car elle vient d’Allemagne.
Les filles ne vont pas à la crèche, ni à l’école, et sont peu exposées à d’autres enfants. Jusqu’à l’âge de six ans, elles ne reçoivent quasiment aucun enseignement linguistique formel. Ce terreau d’isolement et de négligence devient le point de départ d’une création linguistique unique.
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Le “jargon cryptophasique”
Le phénomène que présentent les jumelles est connu sous le nom de cryptophasie, du grec kryptos (caché) et phasia (parole). Il s’agit d’un langage secret souvent inventé par des jumeaux très fusionnels.
Environ 40 % des jumeaux auraient développé une forme de communication cryptée, mais dans l’immense majorité des cas, ces “langues” sont éphémères, incohérentes et disparaissent en grandissant.
Chez Poto et Cabengo, c’est différent : leur langue persiste pendant des années et devient leur seul mode d’expression.
Leur cas attire l’attention d’un orthophoniste en 1977, alors qu’elles ont sept ans. L’homme est stupéfait : les deux enfants ne maîtrisent ni l’anglais, ni l’allemand, mais communiquent parfaitement entre elles.
Il alerte les services sociaux, qui ordonnent des examens approfondis. Les jumelles sont d’abord suspectées de déficience mentale. En réalité, elles sont tout à fait intelligentes, mais linguistiquement enfermées dans un monde qu’elles ont bâti à deux.
Que dit l’analyse linguistique de la langue inventée par les jumelles ?
Leur langage est étudié par des linguistes et des psychologues. Le résultat est déroutant : le dialecte de Poto et Cabengo n’est pas un simple babillage. Il possède une syntaxe, une grammaire implicite, des mots stables, des structures répétitives.
Il semble être un mélange d’anglais simplifié, d’allemand approximatif, et de règles inventées. À titre d’exemple, le mot “poto” viendrait de potato (pomme de terre), tandis que “cabengo” pourrait dériver de “can’t go” mal prononcé.
Les linguistes notent que cette création est rendue possible par un contexte extrême : isolement total, absence de langage structuré dans l’environnement, et lien de dépendance fusionnelle entre les deux enfants.
Ce cas devient un terrain d’étude fascinant pour les chercheurs en acquisition du langage. Il montre que l’être humain, même enfant, tend à créer du langage là où il n’en reçoit pas, pourvu qu’il ait un interlocuteur.
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“Les jumelles parlent” : un documentaire rare et dérangeant
En 1979, le réalisateur Jean-Pierre Gorin découvre l’histoire dans un journal. Il se rend à San Diego, convainc la famille de le laisser filmer, et en tire un documentaire étrange et captivant : Poto and Cabengo.
Le film est un ovni, à mi-chemin entre enquête linguistique et portrait social. On y voit les jumelles dans leur univers, s’exprimant dans leur langue, avec un naturel désarmant. Gorin montre aussi la famille, ses silences, sa détresse sociale, son repli. Le père, souvent filmé en train de fumer dans la pénombre, semble à la fois dépassé et peu concerné.
Le documentaire n’est pas sensationnaliste. Il pose une vraie question : comment deux enfants ont-elles donc pu, en pleine Californie post-Vietnam, vivre presque comme dans une grotte, en créant un monde linguistique parallèle ? Le film sera alors présenté dans des festivals, étudié en anthropologie et linguistique, et reste à ce jour l’un des rares témoignages filmés d’une cryptophasie aussi aboutie.
Que sont-elles devenues ?
Après leur découverte, Poto et Cabengo sont prises en charge par des orthophonistes. Elles apprennent peu à peu à parler l’anglais, à interagir avec d’autres enfants, à sortir de leur bulle. Mais l’adaptation est difficile.
Leur langage privé est abandonné, non sans douleur. Selon des témoignages ultérieurs, elles se seraient éloignées l’une de l’autre à l’adolescence. L’unicité de leur lien s’estompe donc, et chacune suit alors son chemin.
Très peu d’informations filtrent sur leur vie adulte. Quelques interviews révèlent que l’une des deux a eu du mal à trouver sa place socialement, tandis que l’autre mène une existence discrète. Leur langue, elle, est ainsi perdue.
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