Chaque année, chaque femelle des tritons crêtés pond des centaines d’œufs dont la moitié ne verra jamais le jour. Mauro Rusconi, un zoologiste italien, a calculé pour la première fois ce taux de mortalité en 1821.
Comme de nombreux scientifiques, il en a été troublé, car par rapport à l’évolution des espèces, cela n’avait aucun sens. Effectivement, aucun chercheur en 150 ans n’est arrivé à comprendre pourquoi tant d’embryons de tritons étaient condamnés dès le départ. Après ce long moment d’interrogation, les généticiens et les biologistes de l’évolution ont enfin une piste de réponse.
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Les embryons doivent porter des paires de chromosomes 1 pour survivre
Si la moitié des œufs de tritons grandissent normalement, une autre moitié cesse de croître à mi-chemin lors du développement embryonnaire. En 1980, Herbert Macgregor et Heather Horne ont découvert que ce phénomène provient d’une étrange mutation génétique du chromosome 1.
Cette mutation allonge les paires de chromosomes appelés 1 A et 1 B. D’une part, 1 A comporte une erreur qui n’est pas présente dans la moitié 1 B. D’autre part, 1 B contient aussi une erreur qui rend inutiles des informations essentielles. Un œuf fécondé par un spermatozoïde présentant la même variation du chromosome 1 ne peut survivre. Effectivement, il manque une autre moitié essentielle dans la combinaison de 1A+1A ou 1B+1B.
Selon les chercheurs, ces erreurs peuvent être corrigées naturellement par recombinaison. C’est-à-dire que les chromosomes peuvent échanger l’ADN défectueux contre de l’ADN fonctionnel. Néanmoins, chez les tritons à crête, les paires de chromosomes 1 ne sont pas mélangées les unes aux autres. Ceux qui survivent portent un chromosome 1A et un chromosome 1B, et la moitié est condamnée à mourir à chaque génération.
Un système létal équilibré chez les tritons crêtés ?
Ce scénario, connu sous le nom de système létal équilibré, est l’un des plus grands mystères de la biologie évolutive. Des animaux comme les tritons marbrés, les drosophiles et quelques plantes connaissent également un sort plus ou moins similaire.
Les scientifiques pensent que leurs gènes mortels pourraient être une erreur évolutive. Peut-être l’ont-ils hérité d’un ancêtre lointain en raison d’un avantage à court terme.
« Pour expliquer l’évolution des systèmes létaux équilibrés, il faut un scénario dans lequel les avantages à court terme « trompent » la sélection naturelle pour qu’elle opte pour un arrangement qui est en fait préjudiciable à long terme. »
Ben Wielstra, biologiste évolutionniste à l’université de Leiden
Les scientifiques cherchent également des réponses dans des groupes de gènes à l’intérieur des chromosomes, les supergènes. Ces derniers sont regroupés et hérités comme une seule unité. C’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas être recombinés dans la descendance.
Une mutation génétique et létale attachée au niveau de l’un de ces allèles de supergène pourrait créer une boucle de rétroaction. Celle-ci va favoriser la survie et la reproduction chez les tritons avec des paires de chromosomes 1A et 1 B. Il va aussi maintenir les mutations fixes dans la population.
Cependant, cette idée doit encore être étudiée au niveau génomique et en utilisant le séquençage de nouvelle génération.
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