Chez les Yakuzas, se faire tatouer le corps est un rituel courant datant d’au moins 400 ans. Appelée aussi irezumi, cette pratique traditionnelle est actuellement perçue comme une véritable œuvre d’art à travers le monde.
Cependant, cela n’a pas été toujours ainsi, car l’image de l’irezumi était fortement associée à des activités criminelles de la mafia japonaise. De ce fait, le tatouage fut interdit dans le pays au début de l’ère Meiji pendant plusieurs années. Même de nos jours, il est encore mal vu par certains membres de la communauté. Il faut alors les couvrir lorsqu’on va dans un lieu public tel que la plage, les piscines, les bains publics, etc. Pour bien cerner la signification de cette forme d’art ancienne, il est nécessaire de revenir à son origine, qui remonte au XIIe siècle environ.
Dans cet article :
Pourquoi les Yakuzas se sont-ils tatoués ?
Les premières traces des tatouages au Japon remontent au IIIe siècle et au XIe siècle apr. J.-C. Ce sont des observateurs chinois qui en ont fait mention dans l’histoire du royaume des Wei. Ce n’est que plus tard, au XIIe siècle, que les traces de la pratique ont été écrites au Japon. Durant la période Jõmon, les premiers peuples du Japon appelés Aïnou se seraient tatoués. Ces Japonais l’utilisaient pour une utilisation d’ordre social, professionnel, décoratif ou pour se protéger des esprits.
Plus tard, avec le bouddhisme, la pensée chinoise s’est répandue dans l’archipel. Les tatouages commencèrent à avoir des sens négatifs, car ils représentaient pour la culture chinoise une certaine barbarie. C’était notamment le cas au début de la période Kofun entre les années 250 et 538.
Les Yakuzas et les tatouages
L’histoire de l’irezumi, le célèbre tatouage des Yakuzas quant à elle, n’a rien à voir avec celle du peuple Aïnou. Elle commence lorsque dans l’ère Edo (entre les années 1600 à 1868), les autorités japonaises ont commencé à tatouer les criminels pour les distinguer. L’irezumi a été utilisé à cette époque pour couvrir ces marques judiciaires. Puis, les membres du groupe Bakuto, à l’origine de l’organisation Yakuza, ont commencé à l’utiliser pour s’identifier et s’organiser entre eux. C’est ainsi que le tatouage est devenu un rituel Yakuza.
Sa mise en place se fait uniquement de manière traditionnelle. À l’aide d’aiguilles en bambous ou en acier, les maitres tatoueurs vont insérer l’encre dans la peau manuellement. De ce fait, la procédure est extrêmement coûteuse et douloureuse. Elle nécessite des mois, voire des années de travail, avant d’être achevée. C’est pour cette raison qu’un membre Yakuza le considère comme une preuve de courage et de force.
Chaque clan Yakuza possède son propre horimono, un terme qui désigne en général un style de tatouage ornemental et décoratif. Le fait que la procédure soit irréversible symbolise pour un membre la fidélité envers sa famille et la loyauté envers son parrain. Cela implique également son engagement à respecter le code d’honneur de Yakuza.
L’irezumi, un art centenaire tenu caché pendant des années
L’irezumi couvre une large partie du corps de son porteur. Cependant, on constate que les Yakuzas n’ont pas de tatouage au niveau des mains et au-dessus du cou. En fait, ils ne sont pas destinés à être exposés au public pour deux principales raisons.
Pour vivre en société
On pense que le Yakuza, la mafia japonaise la plus puissante de l’histoire, a émergé au cours de l’ère Edo. Deux groupes le composaient à l’époque : le Tekiya qui travaillait dans la vente de produits illicites et de mauvaise qualité ; et le Bakuto qui occupait le milieu des jeux de hasard. Une autre hypothèse suggère que les yakuzas descendent des anciens samouraïs. Après la démilitarisation de 1603, ils se seraient trouvés sans emploi. Une partie, appelé les Kabuki-mono, est alors devenue criminelle, vivant du vol, du proxénétisme et du terrorisme. L’autre partie, baptisée Machi-yako, a fait le choix de se mettre au service de la société en la protégeant des actions criminelles des Kabuki-mono.
Chaque membre d’un clan Yakuza se doit de respecter un code d’honneur sous peine d’une punition sévère. Ce code se résume à l’interdiction de viol, de vol à main armée, de cambriolage, de consommation et de vente de drogue. On peut dire que l’organisation entretien ses activités en semi-légitimité et le plus discrètement possible.
Nombreux sont ainsi les membres qui vivent en toute liberté au sein de la société. Ils vivent comme des gens normaux en cachant leur véritable identité et possèdent même des entreprises propres sans aucun lien avec le crime. Parfois, les Yakuzas se mobilisent pour aider leurs concitoyens comme lors du tremblement de terre de Kobe en 1995 ou le tsunami à Tohoku en 2011. La famille Yamaguchi-gumi a ouvert leurs bureaux aux réfugiés, envoyé des hélicoptères de secours et de nombreux camions munis de fournitures dans les zones touchées.
En raison des lois et des restrictions antigangs
Pendant l’ère Meiji, Yakuza a joué un rôle politique important en permettant au parti nationaliste de prendre le pouvoir et en empêchant l’expansion du communisme au Japon. Pareillement, après la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement japonais les a utilisés pour stopper l’invasion des mafias étrangères dans leur pays. Ils étaient également au contrôle du marché noir, qui assurait la subsistance de la majorité des Japonais.
À son apogée, l’organisation comptait plus de 180 000 membres réparties en 126 clans. Peu à peu, certains membres adoptèrent des comportements surpassant la limite du code d’honneur qui régit le Yakuza. Les crimes sont ainsi devenus plus violents, mélangeant le trafic d’amphétamine, de prostituées et de contenus pornographiques.
En conséquence, le gouvernement japonais a voté une loi antigang et anti-blanchiment respectivement en 1992 et 1993. Ces lois se sont traduites par une baisse d’effectif du nombre des Yakuzas et la perte de la fonction protectrice et sociale de ces derniers. Les grandes familles se sont senties obligées de se convertir en associations, en entreprises ou en de groupes commerciaux légaux. Depuis 2010, de nouvelles ordonnances interdisent l’interaction de quelque nature que ce soit entre civil et Yakuza. Cette mesure, certes, pourrait désorganiser complètement l’organisation, mais certains policiers craignent que cela n’engendre l’émergence d’activités mafieuses, moins organisées. C’est d’ailleurs le cas du groupe Kanto Rengo, apparu en 2012.
À notre époque, le fait de porter des tatouages n’est plus réservé à des groupes de criminels dans le pays du soleil levant. Cependant, les traces qu’ils ont laissées dans l’histoire du Japon font que seuls les Yakuzas semblent oser se tatouer de la sorte. En raison de l’ouverture du pays à l’étranger, la jeunesse actuelle tend à changer petit à petit cette tradition en s’intéressant aux différents styles de tatouages comme les Maoris et les mini-tatoos.
Qui tatoue les Yakuzas ?
Malgré les avancées technologiques en matière de tatouages, l’irezumi a jusqu’à aujourd’hui, pu conserver son rituel de base, la méthode et les motifs tels qu’ils ont été pendant des siècles. Chaque artiste tatoueur traditionnel doit se former auprès d’un maître tatoueur ou horishi. Il se peut que le maître accueille dans sa demeure l’apprenti durant des années. Pendant ce temps, celui-ci va observer le maître fabriquer les instruments, mélanger les encres et reproduire les motifs avant de pouvoir s’exercer sur des clients. À la fin de la formation, l’élève reçoit un nom de tatoueur dérivé de celui de son horishi ou bien qu’il portera tout simplement son nom.
Un maître tatoueur traditionnel est ainsi difficile à trouver. Un horishi est la plupart du temps très occupé, vu que finir un irezumi peut prendre des années. Aussi, les maîtres tatoueurs se font discrets en raison d’une règlementation qui les oblige à obtenir un diplôme de médecine pour exercer le métier.
La signification des tatouages Yakuza
Pour un clan Yakuza, le horimono a une signification personnelle et codifiée. C’est le chef de clan qui choisit le motif pour les jeunes recrues et celui-ci doit être à l’opposé de sa personnalité. Par exemple, un tatouage de dragon sera associé à quelqu’un de très calme. Voici les horimono les plus célèbres de l’irezumi :
Le dragon
Un animal mythique associé à la force de l’eau et du vent, le dragon figure parmi les plus célèbres figures de l’irezumi. Il symbolise la puissance, la sagesse, la force et le courage. La couleur de l’animal représente également d’autres qualités. Le dragon noir représente l’expérience, le dragon vert la nature et le dragon doré symbolise la valeur.
La carpe koï
Cette figure horimono symbolise la chance et la bonne la fortune. Les carpes koï sont perçues dans la mythologie japonaise comme des êtres magiques se transformant en dragons lorsqu’ils arrivent à surmonter le courant du fleuve jaune. Cela fait allusion à la persévérance, la motivation et la capacité à faire face à l’adversité.
Le samouraï
Le code d’honneur suivi par les Yakuzas est assez proche de la philosophie Bushido des samouraïs. Le tatouage symbolise ainsi le sens du devoir, la loyauté et au-dessus de tout l’honneur.
Le phénix
En association avec le mythe, le phénix, l’oiseau qui renait de ses cendres, est associé à l’immortalité. Par ailleurs, les yakuzas associent également ce concept au triomphe.
Le serpent
Le serpent, quant à lui, est associé à de la mauvaise fortune, à la malchance et aux maladies. Toutefois, sa capacité à muer peut signifier la régénération, l’acquisition de nouveaux pouvoirs et de connaissances suite à des erreurs passées.
La pivoine
Sûrement l’un des plus populaires horigomo, cette figure est considérée comme la reine des fleurs au Japon. Elle signifie la richesse, l’élégance, mais aussi la chance, la santé et la prospérité.
Le tatouage Sakura
La fleur de cerisier emblématique de l’archipel représente pour les Yakuzas l’essence de la vie et l’objectif ultime. Chacun en fait ainsi une interprétation très personnelle. Elle représente de plus le caractère éphémère de la vie et de ce qui nous entoure.
Le tigre
En raison de son caractère féroce, le tigre représente le courage et la longévité. Il protège par ailleurs de la malchance, des maladies et des démons. Le tigre renvoie également l’image d’un combat solitaire et héroïque.
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