L’antispécisme demeure un concept peu connu, mais qu’est-ce que c’est exactement ? On vous explique de manière simple.

Dans un monde où l’on commence à parler des droits des robots, une idée beaucoup plus ancienne fait toujours débat : celle de reconnaître des droits aux animaux non-humains. L’antispécisme n’est ni une mode végane ni un caprice de militants radicaux. C’est un courant de pensée profond, argumenté, qui remet en question une hiérarchie que beaucoup considèrent comme “naturelle” : celle entre les espèces.
Dans cet article :
1. Le spécisme, un racisme d’espèce ?
Pour comprendre l’antispécisme, il faut d’abord comprendre ce à quoi il s’oppose : le spécisme. Ce terme est né dans les années 1970, dans le sillage des luttes féministes et antiracistes. Il désigne une discrimination fondée sur l’espèce, au même titre que le racisme se fonde sur la race ou le sexisme sur le genre.
Concrètement, le spécisme désigne notre tendance à accorder plus de valeur morale aux membres de notre espèce, les humains, et à mépriser ou exploiter les autres, souvent sans justification autre que la tradition ou l’habitude.
L’antispécisme, donc, combat cette hiérarchie. Il postule que ce n’est pas parce qu’un être est d’une espèce différente qu’on peut légitimement l’exploiter, le tuer ou le négliger.
Ce n’est pas une égalité de capacité, personne ne prétend qu’un poisson est aussi intelligent qu’un humain, mais une égalité de considération. Autrement dit : si un être peut souffrir, alors sa souffrance doit compter.
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2. Les fondations de ce mouvement
L’un des textes fondateurs de l’antispécisme est le livre Animal Liberation de Peter Singer, philosophe utilitariste australien. Dans cet ouvrage, Singer affirme que la capacité à ressentir la douleur, la sentience, doit être le critère moral principal, pas l’intelligence, le langage ou la forme corporelle. Tuer un cochon pour le plaisir gustatif, alors que d’autres options existent, serait donc moralement injustifiable.
Quelques années plus tard, Tom Regan, philosophe américain, développe une autre approche. Il ne parle pas de sentience, mais de “sujets d’une vie”. Selon lui, certains animaux ont une existence mentale complexe et doivent être considérés comme des personnes morales dotées de droits fondamentaux, comme le droit à ne pas être tués ou utilisés comme des moyens.
En France, nous avons aussi les Cahiers antispécistes. Créés en 1991 à Lyon, les Cahiers antispécistes sont l’un des tout premiers espaces francophones de réflexion philosophique sur la condition animale.
Derrière ce projet : David Olivier, Estiva Reus et Yves Bonnardel, parmi d’autres. Leur ambition ? Traduire, vulgariser et prolonger les thèses anglo-saxonnes de Peter Singer, Tom Regan ou Joan Dunayer, mais avec une approche plus politique, plus critique et plus française.
Pendant plus de vingt ans, ces Cahiers vont proposer une critique en profondeur du spécisme, cette hiérarchisation morale fondée sur l’appartenance à l’espèce, et de tout ce qui le soutient idéologiquement : tradition, culture, religion… et surtout l’idée de nature.
Peu à peu, le mot « antispécisme » entre dans le langage courant, notamment grâce aux actions de groupes comme L214, 269 Life France, Animal Ethics, ou encore Anonymous for the Voiceless. Ces mouvements s’appuient souvent sur des vidéos choc, filmées dans les abattoirs, pour illustrer l’écart entre ce que la société tolère et ce qu’elle voit.
3. Détruire l’idée de nature ?
C’est peut-être le point le plus audacieux, et le plus explosif, de l’antispécisme français : la critique radicale de la nature. Pour les Cahiers antispécistes, la nature n’est pas une chose neutre ou bienveillante. C’est une construction culturelle, utilisée pour justifier l’injustifiable : la souffrance, l’inégalité, la violence.
Dire « c’est naturel » revient trop souvent à dire « c’est normal ».
Exemples : Les animaux se mangent entre eux ? Donc manger des animaux serait légitime. Les hommes seraient naturellement plus rationnels ? Donc le patriarcat serait justifié. Les enfants seraient immatures par nature ? Donc la domination adulte serait logique. Dans tous les cas, la nature est invoquée pour figer l’ordre social.
À rebours de l’écologie romantique ou du bio à tout prix, certains affirment que la nature n’est pas un modèle moral. Elle est souvent cruelle, indifférente à la souffrance, et ne doit pas être imitée. Ce n’est pas parce qu’un comportement existe dans la nature qu’il est juste ou souhaitable. La morale n’a rien à voir avec ce qui est, elle concerne ce qui devrait être.
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4. Au-delà du véganisme
L’antispécisme est souvent réduit à une simple question alimentaire : être ou ne pas être végan. C’est une erreur. Le véganisme est une pratique qui découle d’une éthique. On peut refuser de porter du cuir, de consommer du lait ou de visiter un zoo non pas par dégoût, mais par conviction morale.
L’antispécisme interroge aussi la manière dont on élève les animaux, dont on parle d’eux dans la culture, dont la loi les considère. Il touche au droit, à la politique, à l’écologie, à la philosophie. Il croise même des enjeux de domination coloniale et patriarcale, car l’exploitation animale est historiquement liée à l’exploitation des plus faibles, humains comme non-humains.
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