Mehran Karimi Nasseri est l’homme qui a vécu 18 ans dans un aéroport et qui a inspiré le film Le Terminal avec Tom Hanks.
Pendant 18 ans, il a mangé dans les fast-foods, dormi sur un banc de plastique rouge et griffonné sa vie sur des feuilles volantes. Mehran Karimi Nasseri, surnommé « Sir Alfred », a passé près de deux décennies dans le terminal 1 de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Pas par choix. Pas vraiment. Mais parce que plus aucun pays ne voulait de lui.
Son histoire a inspiré un film hollywoodien. Pourtant, la version édulcorée de The Terminal, avec Tom Hanks, ne reflète qu’une infime partie de ce que fut réellement sa vie.
Dans cet article :
De l’Iran à la France : l’exil et ses failles
Mehran Karimi Nasseri est né en 1945 à Masjed Soleiman, en Iran. Fils d’un médecin travaillant pour une compagnie pétrolière, il quitte son pays dans les années 1970. Selon ses propres dires, il aurait été expulsé pour activisme politique contre le régime du Shah.
D’autres versions contredisent cette chronologie, mais toutes convergent vers une chose : en 1988, il est à Bruxelles, en transit vers Londres, quand il perd, ou se fait voler, ses papiers.
Sans documents d’identité valides, il ne peut plus ni entrer au Royaume-Uni, ni retourner en Belgique, ni repartir ailleurs. Il est renvoyé en France. Et là, son étrange odyssée commence. Roissy devient sa prison sans barreaux.
Le terminal de l’aéroport comme territoire : ni dedans, ni dehors
De 1988 à 2006, Nasseri vit littéralement dans le terminal 1. Il dort sur des banquettes, il lit, il écrit, et il devient un personnage familier du personnel de l’aéroport. Certains employés le prennent en sympathie, lui offrent de quoi manger. Des passagers, intrigués, s’arrêtent pour le regarder, le photographier.
Il ne mendie pas et il ne quitte jamais le périmètre autorisé. Ce dernier refuse catégoriquement toute solution qui ne correspond pas à son propre récit d’identité : il veut être reconnu comme réfugié britannique, sous le nom de Sir Alfred Mehran. Ni plus, ni moins.
Même lorsque des pays lui proposent des papiers, il refuse de signer s’ils ne correspondent pas à ce qu’il estime être la vérité. C’est là que la situation bascule dans l’absurde. Il est coincé… mais aussi acteur de son propre enfermement.
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Une vie administrative impossible à débloquer
Au fil des années, juristes, associations, avocats tentent de démêler son cas. Mais rien n’y fait. Le flou administratif est total : ses documents d’origine ont disparu, les statuts obtenus ne correspondent pas à ses exigences. Même les Nations Unies s’y perdent.
En 1999, la France lui accorde finalement un titre de séjour. Mais Nasseri refuse. Pour lui, ce n’est pas son identité. Il veut celle qu’il s’est construite : « Sir Alfred », réfugié britannique. La boucle est bouclée. Il devient otage d’un système qu’il ne reconnaît plus, et qui ne sait plus comment le gérer. Plus qu’un exilé, il est devenu une énigme.
Une figure médiatique… malgré lui
Dans les années 2000, l’histoire de Nasseri fait le tour du monde. Des articles lui sont consacrés, des documentaires, puis un film. Steven Spielberg achète les droits de son histoire pour Le Terminal (2004). Tom Hanks incarne un homme bloqué dans un aéroport new-yorkais à cause d’un coup d’État dans son pays fictif. Le film transforme le réel en fable douce-amère.
Mais Nasseri ne touchera jamais l’argent du film. Les droits lui ont été rachetés via une société tierce. Lui reste assis, immobile, à Roissy. Avec ses sacs, ses notes, ses journaux. Il devient une sorte de totem vivant de l’errance administrative. Un homme figé dans le non-lieu.
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Fin de parcours : dehors, mais à quel prix ?
En 2006, il est hospitalisé d’urgence. À sa sortie, il ne retourne pas à Roissy. Il alterne entre centres d’accueil, foyers sociaux, structures d’aide. On le perd un peu de vue. Il finit par s’installer dans un centre d’hébergement du Val-de-Marne.
Mais en 2022, contre toute attente, il retourne à l’aéroport. Volontairement. Il s’installe à nouveau au terminal 2F, pendant plusieurs semaines. Jusqu’à sa mort, le 12 novembre 2022, d’un arrêt cardiaque, dans le lieu même où il avait vécu si longtemps.
Il a vécu dans un aéroport, un miroir de l’exil moderne
L’histoire de Mehran Karimi Nasseri dépasse le simple fait divers. Elle révèle les failles d’un monde où l’identité se joue sur des bouts de papier, où l’appartenance dépend d’un cachet, et où l’humain peut se dissoudre dans l’absurde bureaucratique.
Il a vécu sans toit, mais à l’abri. Sans pays, mais sous drapeau. Et, sans statut, mais avec une histoire que personne ne pouvait ignorer. Il n’était ni citoyen, ni clandestin. Il était… en transit. Et vous, combien de temps pourriez-vous vivre dans un terminal, sans jamais savoir si vous êtes encore quelqu’un pour un État ?
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