Quand le cerveau choisit d’oublier pour survivre : plongez au cœur de l’amnésie traumatique, un mécanisme de défense fascinant.

Oublier un événement marquant n’est pas toujours un signe d’indifférence ou de faiblesse. Pour certaines personnes, c’est une question de survie. Lorsqu’un traumatisme est trop douloureux à supporter, le cerveau peut décider, à leur insu, de mettre les souvenirs de côté. Ce phénomène, appelé amnésie traumatique, touche de nombreuses victimes d’accidents, de violences ou d’agressions, parfois sans qu’elles en aient conscience. Un mécanisme de défense complexe, encore méconnu du grand public, que la science commence peu à peu à percer.
L’amnésie traumatique, un phénomène méconnu mais fréquent
L’amnésie traumatique survient à la suite d’un événement particulièrement choquant ou violent : accident, agression, viol, inceste, guerre, catastrophe naturelle, etc. Contrairement à un simple oubli, il s’agit d’un mécanisme de défense inconscient mis en place par le cerveau pour protéger la personne d’un souvenir insupportable à affronter.
De nombreuses victimes de traumatismes graves en souffrent sans le savoir. Certaines peuvent passer des années, voire des décennies, sans se rappeler des faits, avant que les souvenirs ne refassent surface, parfois brutalement et de manière fragmentée.
Comment se manifeste l’amnésie traumatique ?
L’amnésie traumatique se manifeste différemment selon les individus :
- Amnésie partielle : certains éléments de l’événement sont conservés, d’autres complètement effacés.
- Amnésie totale : le souvenir de toute la scène traumatique disparaît.
- Amnésie localisée dans le temps : seules les heures ou jours entourant le drame sont oubliés.
Les souvenirs refoulés peuvent resurgir soudainement, souvent déclenchés par une odeur, un son, un visage ou une situation rappelant le traumatisme. Leur retour peut être violent : cauchemars, flashbacks, crises d’angoisse ou panique incontrôlée.

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Que se passe-t-il dans le cerveau ?
Lors d’un choc extrême, le cerveau libère une grande quantité d’hormones du stress (adrénaline, cortisol) qui perturbent la communication entre les zones impliquées dans la mémoire et les émotions :
- L’hippocampe (mémoire consciente) se met en “pause”, empêchant la création du souvenir.
- L’amygdale, centre des émotions, reste active et garde en mémoire la peur et la douleur.
- Le cortex préfrontal, qui aide à analyser et verbaliser, se déconnecte sous le stress.
Ce déséquilibre provoque une dissociation : la personne ressent la terreur sans pouvoir relier cette émotion à un souvenir précis. C’est cette déconnexion qui fonde l’amnésie traumatique.
Quand le corps parle avant la mémoire
Bien avant que les souvenirs traumatiques ne refassent surface, le corps, lui, se souvient déjà. De nombreuses personnes victimes d’amnésie traumatique vivent pendant des années avec des douleurs, des troubles physiques ou émotionnels inexpliqués, sans comprendre leur origine. Leur mémoire consciente a effacé le choc, mais le corps en garde la trace.
Le mal intérieur : un langage silencieux du trauma
Maux de ventre, migraines, fatigue chronique, troubles digestifs, tensions musculaires, douleurs dorsales… Ces symptômes peuvent sembler anodins ou isolés, mais ils traduisent souvent un mal enfoui, une mémoire émotionnelle non traitée. Chez certaines personnes, ce mal-être s’exprime aussi par des crises d’angoisse, des attaques de panique, un sentiment diffus de danger, ou encore une impression d’être déconnecté de soi. Le corps, incapable d’oublier, fait remonter le message à sa manière, parfois sous forme de maladies psychosomatiques.
Le corps crie ce que la bouche a tu.
Françoise Dolto
Les maladies qui peuvent révéler un traumatisme enfoui
On retrouve fréquemment chez ces personnes des troubles tels que :
- Les troubles digestifs (syndrome de l’intestin irritable, nausées, brûlures d’estomac) ;
- Les douleurs chroniques sans cause médicale claire ;
- Les troubles du sommeil ou des réveils nocturnes accompagnés d’une angoisse sans raison apparente ;
- Les maladies inflammatoires ou auto-immunes aggravées par le stress chronique ;
- Et parfois même des phobies ou réactions de panique liées à des stimuli dont la personne ignore le sens.
Ces signaux ne sont pas imaginaires : ils sont la manifestation physique d’un souvenir émotionnel refoulé. Tant que la mémoire traumatique reste dissociée, le corps continue de parler pour elle.
Retrouver l’équilibre passe par l’écoute du corps
C’est pourquoi de nombreux thérapeutes insistent sur l’importance d’écouter les signaux corporels avant même de chercher à raviver les souvenirs. Les approches comme la somatic experiencing, la respiration consciente ou encore le yoga du trauma permettent d’identifier où le corps “bloque”, de libérer les tensions ancrées et de rétablir un lien apaisé entre le corps et l’esprit.
Reconnaître ce mal intérieur, c’est déjà entamer le processus de guérison, avant même que la mémoire consciente ne fasse son retour.
Quand la mémoire revient : un processus souvent douloureux
Le retour des souvenirs est souvent progressif, parfois inattendu, et rarement paisible. Il peut survenir des années plus tard, à la suite d’un travail thérapeutique, d’un événement déclencheur ou même sans cause apparente. Les images reviennent alors par bribes, souvent désordonnées, et s’accompagnent d’émotions intenses.
Pour certaines victimes, ce moment est vécu comme une seconde épreuve : la prise de conscience du traumatisme peut provoquer un effondrement psychique, de la culpabilité ou un sentiment d’irréalité. D’où l’importance d’un accompagnement psychologique spécialisé.

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Comment traiter l’amnésie traumatique ?
Il n’existe pas de traitement “miracle”, mais plusieurs approches permettent de réconcilier la mémoire, le corps et les émotions :
Les thérapies psychocorporelles
Elles reconnectent le corps et l’esprit, et permettent de libérer les tensions émotionnelles enfouies. Parmi les plus reconnues :
- La somatic experiencing (Peter Levine), qui aide à relâcher l’énergie du stress bloquée dans le corps ;
- Le focusing (Eugene Gendlin), qui invite à écouter les sensations corporelles pour accéder aux émotions refoulées ;
- Le yoga du trauma, qui restaure le lien entre respiration, mouvement et sécurité intérieure ;
- La respiration consciente et la cohérence cardiaque, qui apaisent le système nerveux et rétablissent un sentiment de calme intérieur ;
- La danse thérapie ou le mouvement authentique, qui permettent d’exprimer par le corps ce que les mots ne peuvent pas encore dire ;
- L’EFT (technique de libération émotionnelle), qui combine stimulation de points d’acupuncture et verbalisation.
Les thérapies cognitives et comportementales (TCC)
Elles aident à comprendre et maîtriser les réactions anxieuses, en remplaçant les pensées automatiques liées au traumatisme par des schémas plus apaisants.
L’EMDR
La désensibilisation par les mouvements oculaires est aujourd’hui l’une des méthodes les plus efficaces pour retraiter les souvenirs traumatiques et en diminuer la charge émotionnelle.
La parole en thérapie
C’est une étape clé. Parler ne signifie pas simplement raconter : il s’agit d’un travail de mise en mots du ressenti. Pendant des années, la personne peut avoir gardé le silence — par honte, peur ou absence de souvenir clair. La thérapie permet de reconstruire le récit, de réordonner la mémoire et de transformer la douleur en compréhension. Ce processus aide à replacer l’événement dans le passé et à retrouver une cohérence intérieure.
En thérapie, les mots deviennent un fil conducteur entre ce que le corps a vécu et ce que l’esprit commence enfin à comprendre.
Le rôle du thérapeute est d’aider la personne à retrouver un sentiment de sécurité et à réintégrer doucement les souvenirs sans les revivre.
Pourquoi ce sujet reste encore tabou ?
L’amnésie traumatique est parfois mal comprise, notamment dans le cadre judiciaire, où les souvenirs peuvent refaire surface des années après les faits. Certains y voient une invention ou une influence extérieure. Pourtant, les recherches en neurosciences prouvent que ce mécanisme est bien réel.
Reconnaître l’amnésie traumatique, c’est reconnaître que le cerveau humain peut se protéger de l’insupportable, et que la mémoire n’est pas un enregistrement figé, mais un système vivant, complexe et fragile.
Vidéo bonus pour tout comprendre sur l’amnésie traumatique
L’amnésie traumatique n’est pas un signe de faiblesse, mais une stratégie de survie. Le cerveau efface temporairement pour permettre à la personne de tenir debout. Mais les souvenirs, eux, ne disparaissent pas : ils attendent simplement que l’esprit soit prêt à les accueillir à nouveau. Le plus important n’est pas de tout se rappeler, mais de retrouver la paix avec son passé, grâce à un accompagnement thérapeutique et une meilleure compréhension de ce phénomène. Comprendre l’amnésie traumatique, c’est aussi reconnaître la force silencieuse de celles et ceux qui, un jour, ont survécu à l’indicible.
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